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Houat divers

De Houat au Belem - partie 2

Ce fut une grande surprise de passer des grands cargos à un trois-mâts et, des surprises, j’en aurai beaucoup tout au long de ma carrière avec ce bateau.

Le Belem est un bateau civil, donc non militaire, même si nous y amarinons de nos jours des mousses de la Marine Nationale. Il appartient à la Fondation Belem qui, elle-même, est sous le mécénat de la Caisse d’Epargne qui contribue très largement à la pérennité de ce navire depuis trente ans. On nous confond parfois avec la goélette « Le Bel Espoir » du Père Jaouen ; certains pensent aussi que le navire appartient à la ville de Nantes, d’autres nous confondent avec des bateaux de diverses nationalités ayant comme nous des faux sabords noirs et blancs. Depuis 1985, date de ses premières navigations après son remâtage à Rouen, le Belem est armé avec des marins de commerce professionnels ; c’est la Compagnie Morbihannaise et Nantaise (à Nantes) qui gère l’armement ainsi que les services techniques. La Fondation gère, de son côté, tout ce qui concerne les programmes de stages et le côté commercial. En effet, il faut savoir que le Belem est ouvert à tous, et que, depuis 1988, chaque année, un programme de stages de différentes durées et au départ de différents ports est mis en place. De nos jours, on peut avoir accès par internet aux conditions d’embarquement. Nous sommes donc un navire-école, même si nous n’avons pas la prétention de former les stagiaires en quelques jours ; par exemple, un gabier se forme en une année au minimum. Nous sommes souvent sur les côtes françaises, Méditerranée comprise, jusqu’en mer du Nord, avec escales en pays étrangers. Il nous est arrivé aussi de faire de très grandes traversées : New York en 1986, Belem au Brésil, les Antilles en 2002, et plus récemment Boston, Halifax, Montréal, Québec en 2008 pour le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain.

Donc, chaque année, le Belem a des activités différentes. Etant un « monument historique » et dernier trois-mâts français, nous sommes souvent conviés à représenter la France à l’étranger, ainsi que dans les grands rassemblements de voiliers, dans différentes manifestations comme le Festival Interceltique, les Etonnants Voyageurs etc. Nous travaillons avec des entreprises et mairies pour des cocktails ou repas à quai et stages en mer, ainsi que des visites à quai. Nous recevons beaucoup de personnalités (show bizz, politiques, écrivains, journalistes, skippers…) et sommes bien représentés par des photographes comme Philippe Plisson ou le dessinateur des BD sur le Belem Jean-Yves Delitte. Mais, il faut garder la tête froide, la star, c’est le Belem, pas nous !


Donc, beaucoup d’activités, et beaucoup de jours de mer lors des stages. Ces derniers sont accessibles à tous, on peut s’inscrire en contactant la fondation Belem ; pour cela, il faut avoir au minimum 16 ans (pas de limite d’âge, en revanche) et ne pas présenter de contre- indications médicales. Les stagiaires sont initiés à la vie à bord au travers des activités journalières en participant aux quarts et aux manœuvres. Ils peuvent être aussi bien à la barre, à la veille, en repos, dans la mâture (pour les volontaires, et avec un harnais), car nous naviguons quel que soit le temps, nous nous mettons parfois au mouillage, à l’abri, pour reposer un peu tout le monde. La vie du bord nécessite aussi que l’on fasse des tâches communes, telles que les cuivres, le service à table, la vaisselle, les sanitaires séparés, (hommes, femmes avec douches, eau chaude et WC), le nettoyage de pont et locaux, et ceci à tour de rôle, en équipe. C’est la totale immersion dans la vie du bord. Par beau temps, le zodiac est mis à l’eau et embarque les stagiaires pour qu’ils prennent des photos du Belem toutes voiles dehors, car nous naviguons le plus souvent possible à la voile. Pas besoin de connaissances maritimes pour embarquer à bord, juste quelques sacs en plastique pour se soulager l’estomac par gros temps.

Et pour ceux qui tiennent la mer, il faut savoir que la cuisine sert toujours chaud, quelle que soit la météo. Pour dormir, chacun a une bannette spartiate qui se trouve dans la batterie, c’est le nom que l’on donne au lieu de vie, où se trouve aussi la grande table des repas (30 personnes par service), services-repas qui ont lieu par tiers et demi-bordée : 11 heures, midi, 19 heures et 20 heures et tout ceci se passe de façon très conviviale, surtout par beau temps.

A bord, nous sommes 16 hommes d’équipage : un commandant, un chef mécanicien, un second capitaine et deux lieutenants, un bosco (maître d’équipage), un chef cuisinier et un second, un charpentier et 7 matelots. Nous venons de différents horizons maritimes, certains sont des « terriens ». Le rôle de chacun à bord d’un bateau est important, c’est bien connu. Celui de cuisinier est presque (!) aussi important que celui de commandant car c’est par la nourriture que l’on maintient le moral des troupes…

Pour faire manger tout ce monde-là, les préparatifs demandent beaucoup de travail : anticiper les menus en tenant compte du nombre de clients par stage, de la durée de celui-ci et des possibilités de réapprovisionnement en jours ouvrables auprès d’un avitailleur lors de la prochaine escale. J’ai beau faire ce métier de cuisinier depuis des années, j’oublie parfois le « petit quelque chose » qui a de l’importance, ou bien les fournisseurs n’ont pas pu obtenir les produits demandés même si les commandes leur sont passées bien à l’avance, et cela complique les choses. Rien n’est simple, malgré la bonne volonté des fournisseurs et nos bonnes relations. Nous avons une capacité de stockage de 30 jours de mer pour un effectif complet de 64 personnes (48 stagiaires et 16 hommes d’équipage), et cela en faisant des menus tout à fait honorables et peu répétitifs, avec achat de produits frais lors des escales. Nous sommes équipés de deux chambres froides de 2m35, et de huit congélateurs grande capacité. Notre table a bonne réputation parmi les vieux gréements. Ma journée commence par un réveil à 6 heures et quart pour servir les petits déjeuners à 7 heures puis préparer les repas du midi. A 13 heures 30, détente et sieste, puis reprise à 16 heures, préparation des repas du soir et fin à 21 heures 30. Cela fait pas mal de boulot partagé avec mon second qui, lui, fait 8 heures-14 heures et 16 heures-22 heures, nettoyage cuisine compris.

Ces horaires sont respectés quand le mauvais temps ne s’en mêle pas ; par mauvais temps, cela devient très sportif de faire à manger et il n’est pas rare, malgré l’habitude, que nous perdions de la marchandise… mais comme les stagiaires sont souvent malades, ça équilibre ! La cuisine ne fait que 14 mètres carrés avec vue imprenable sur la mer, elle n’est pas à « fond de cale » comme sur les bâtiments militaires, elle se trouve au même endroit depuis 1896.







Le Belem me permet depuis des années d’exercer mon métier de cuisinier mais aussi de naviguer et de voyager, en un mot, de joindre l’utile à l’agréable sur un navire chargé d’histoire. N’oublions pas tous les bénévoles qui ont contribué dans les années 80 à remettre en état le Belem, et tous les hommes d’équipage qui ont permis et permettent que l’aventure du Belem continue.

[/ Lionnel Issert-Tabardel /]

Commentaires

1 Message

  1. De Houat au Belem - partie 2

    Un grand merci, Lionel, pour cette histoire en deux parties très contrastées.
    Je me suis un peu reconnu dans la première partie... normal, car ton arrière grand-père
    Ferdinand dont tu parles était aussi le mien ! Dans la deuxième partie, au
    contraire, c’est la nouveauté qui prédomine pour moi. Merci beaucoup, donc,
    pour ces informations très intéressantes à propos du Belem. Voilà qui donne
    envie de prendre le large ! Avec l’été qui approche, c’est l’occasion pour
    ceux qui sont coincés dans les terres pendant l’année.

    Au plaisir de te revoir,

    Yannick

    par Yannick Deville | 13 juin 2011, 19:10

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